Extrait du catalogue de l'exposition "David Maes: un peintre face au sacré", Musée d'art sacré du Gard, juin-septembre 2001
Renan a profondément choqué en écrivant sa Vie de Jésus. Son livre a fait scandale parce qu’il livrait une autre image que celle que la hiérarchie s’était arrogée de donner. Ainsi passe la gloire du monde, dit-on.
Je crains qu’il en aille de même pour la grande toile que présente ici David Maes, Le rappel, qui date de 1993-1994. J’entends déjà les cris d’indignation des esprits bien-pensants et, de ce fait, détenteurs de la vérité
absolue : choquante cette image de toutes ces femmes nues et de leurs enfants
dévêtus au pied d’un Christ sans croix ; scandaleuse cette femme également nue
et accroupie, semblant assouvir un besoin pressant devant le Christ, aussi à
poil… Voir ça dans un musée d’art
sacré. Assurément, ça y est, la décadence tant annoncée (attendue ?) est
arrivée…
Effectivement, la
démarche de David Maes n’a pas obtenu l’imprimatur.
Cependant, puis-je vous faire modestement remarquer que par rapport à Renan les
temps ont quelque peu changé ? Ils ont même doublement changé. D’abord, les
différentes confessions chrétiennes n’ont plus le monopole sur la propriété
exclusive du sacré, et ne cherchent plus à l’avoir. Le Christ de la foi est
aussi le Jésus de l’histoire, dont on peut avoir une approche libre. Ensuite,
le laïcisme a pratiquement cédé la place à une laïcité à la française,
c’est-à-dire respectueuse du pluralisme. La mise en accusation du christianisme
devient aussi stérile que l’intégrisme religieux. Le christianisme est un
testament laissé à l’histoire. Le mot testament a ici une résonance biblique.
David Maes travaille sur
cette notion. Pour lui, le testament n’est pas la parole du mort qui s’adresse
aux vivants pour continuer à leur livrer des recommandations morales ou
matérielles. C’est, derrière la complexité du réel, le respect des médiations
venues de nos pères. Fort de cette remarque,
revenons au Rappel de David Maes. Le
Christ est nu sur la croix. C’est une redécouverte. Devant Lui, Madeleine a
pris la position d’une femme africaine à l’accouchement. Elle s’apprête à
donner la vie. Elle explique le drame sacré qui se joue dans le tableau. La
nudité du groupe de gauche symbolise la vérité du cœur, sans le faux-semblant
du vêtement. En face, le seul personnage amplement habillé ressemble à un
spectre. Il n’a pas de visage. Il n’a pas d’existence. L’acceptation
traditionnelle de l’héritage tue. Il faut réinventer un dialogue avec
nous-mêmes, individuellement et collectivement, pour laisser sourdre la vie de
l’esprit, loin des rites surannés stérilisants. Si le peintre interroge notre
tradition occidentale, c’est que pour lui elle est un alphabet nécessaire en
vue de composer des mots nouveaux. L’œuvre qu’il pétrit ainsi devient un signe
des temps, ce qui justifie pleinement sa présentation au musée. Ainsi se forge
la gloire du monde.
Alain Girard
Conservateur du Musée d'art sacré du Gard